Au lendemain d'une séparation agitée, je fus contraint de chercher un petit appartement pour y recevoir mes enfants chaque week-end. Mon choix se porta sur un modeste logement, une sorte de mansarde, rue Brézin, dans le 14e arrondissement de Paris.
Les clefs en main, j'entrepris de rendre l'endroit un peu plus accueillant en y passant un coup de peinture. La tâche se révéla plus compliquée qu'elle n'en avait l'air. Je n'avais pas mesuré l'état catastrophique des lieux. Lorsque je passais le pinceau, par exemple, la peinture du plafond s'écaillait et tombait par pans entiers. Réputé pour ses compétences dans ce domaine, un ami, le peintre, graveur et fresquiste Joerg Ortner, accepta de me donner des conseils. Mais s'avisant très vite que je n'étais pas vraiment l'homme de la situation, il m'offrit purement et simplement de prendre en charge le chantier.
Ce fut le début d'une aventure tumultueuse entièrement dépendante de son amour immodéré de la perfection, qui rendit la réalisation de notre projet longtemps improbable.
" Au début du siècle, à la nuit tombée, je regardais souvent par la fenêtre. Dans ma banlieue, il y avait très peu de lumière. Pas grand-chose à contempler. Des sortes de signaux, tout au plus, que je croyais adressés par des personnages. Les retrouvant de soir en soir, je pris l'habitude de leur prêter des fables en les imaginant sous les traits de personnes ayant réellement existé : mon père et ma mère, par exemple, que je sortais de la nuit en les jetant sur le papier. Je vivais ainsi les tensions qui ne me laissaient pas en paix. Les fables que j'inventais, je les vivais.
Un livre parut en 2001 sous le titre Bonnes soirées dans une quasi-clandestinité. Presque vingt ans après, j'ai retrouvé des textes contemporains, et j'ai voulu en poursuivre l'expérience comme s'ils me réveillaient d'un long sommeil en me rouvrant les chemins de l'écriture. "
A.V.
Livre après livre, Alain Veinstein revient sans les épuiser sur les mêmes questions : l'origine, la rencontre, le saisissement du corps, le sauvage qu'il y a en l'humain, la disparition, la hantise de l'accomplissement.
Ce volume rassemble mes six premiers livres, publiés de 1974 à 1989 et aujourd'hui, pour la plupart, introuvables. Livres de poèmes ? La réponse n'est pas si simple. Mon approche de la poésie, dans ces années-là, était plutôt conflictuelle. Le voisinage de textes qui vont à la ligne, comme tout poème qui se respecte, et de fragments de prose rythmé par des blancs, est là pour en témoigner. Trop d'art, pensais-je, tue la poésie ; sauf à en faire, selon l'expression souvent citée de Claude Royet-Journoud, un " métier d'ignorance ".
En fait, mon seul dessein était d'essayer d'inventer une langue à partir d'un nombre très restreint de mots. Des mots capables de charger d'émotion ce qui m'apparaissait comme une vue d'ensemble des choses, une voie d'accès au sens, exploré en tous sens, et aux remises en question. Surtout, des mots avec lesquels j'avais une relation assez forte pour leur confier mon désir d'essayer de me chercher, sans doute de parvenir à être moi-même, en tout cas ma raison d'écrire.
Alain Veinstein
" Par une nouvelle question, en jetant de l'huile sur le feu, je vais jouer le tout pour le tout. Dans le casque, je m'entends la lui poser. Ou plutôt, j'entends une voix, qui est censée être la mienne, poser une question. Quand je m'écoute parler, l'intervieweur prend mon relais, ce n'est plus moi qui parle, je me surprends même parfois à prononcer des mots dans une langue qui m'est en grande partie étrangère. "
Alain Veinstein présente actuellement l'émission " Du jour au lendemain " sur France-Culture. Il a notamment publié L'Accordeur (Calmann-Lévy, 1996, Folio, 1998), et Violante (Mercure de France, 1999, Folio, 2001). Il a reçu le prix Mallarmé en 2001.
En 2002, pour les besoins d'un roman, j'ai inventé un personnage d'intervieweur. Comme à l'époque je faisais de la radio, on a pu être tenté de confondre le vrai intervieweur avec le faux. Pourtant, mon rapport à la radio n'avait pas grand-chose à voir avec celui décrit dans le roman.
C'est peut-être ce qui m'a conduit, des années après, à vouloir retrouver ce personnage. Ne serait-ce que pour clarifier les choses. Ça tombait bien, je venais de mettre un terme à mon aventure radiophonique et disposais donc de la distance et de la disponibilité nécessaires à une vue plus juste de ce qui avait été la passion de ma vie. En même temps, ce personnage était voué à substituer d'autres passions (pourquoi pas un grand amour?) à celle dont le temps du deuil était venu. Comment allait-il s'accomoder de cette infortune? Un aller simple pour Veniser suffirait-il à combler l'immense vide ouvert devant lui?
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
« Arrivé par hasard sur Twitter, j'ai vite cherché à en faire une voie d'écriture. En m'impliquant à visage découvert, tel que je crois être : un écrivain, auteur de romans et de poèmes, intervieweur d'écrivains à la radio depuis longtemps, arrivé à l'âge où la porte du royaume des souvenirs reste grande ouverte, habitant Malakoff, au sud de Paris, travaillant ou faisant semblant de travailler, aux heures ouvrables, rue de Tournon, dans le sixième arrondissement de la capitale, promeneur de chien à ses heures, homme de la rue, donc, l'oeil et l'oreille aux aguets dans les paysages urbains, usager des transports en commun, voyageur à l'occasion, dormeur, également, se laissant surprendre par ses rêves... Il en est résulté une suite de tweets sautant chaque jour du coq à l'âne jusqu'à ce que se dégagent des motifs, souvent fictionnels, dont je me suis efforcé de tirer les fils quand l'idée du livre - et la tentative d'unification qu'elle exige - s'est imposée. L'autoportrait en miettes a alors cédé le pas à une sorte de roman par tweets où la vie vécue et la vie rêvée du narrateur sont amenées à se rencontrer. »
A. V.
Pendant vingt-neuf ans, Alain Veinstein s'est entretenu, chaque soir de la semaine, avec un auteur de l'actualité littéraire, notoire ou discret, dans une ambiance nocturne. L'émission s'appelait Du jour au lendemain. Par décision de la direction de France Culture, elle devait s'arrêter début juillet 2014, pour toujours. C'était donc le moment d'un adieu, sobre, précis, solennel comme il se doit. Un adieu singulier, à la première personne, sans autre invité que l'auditeur devant son poste. Un texte d'homme de radio et plus encore, un texte d'écrivain.
Par une initiative intempestive, cette émission a été déprogrammée à la dernière minute par la direction de la station. Autant dire qu'elle a été censurée. Pour que le dernier mot ne revienne pas au silence et qu'il s'inscrive dans notre mémoire, il a été décidé de publier le texte d'Alain Veinstein dans la collection qui édite son œuvre aux Éditions du Seuil, " Fiction & Cie ", plus que jamais terre d'accueil.
« Les ravisseurs sont légion autour des lecteurs. Ce sont tous ces livres découverts au fil des ans avec lesquels se nouent des liens d'étroite proximité. On leur doit l'expérience de la fascination, qui est une sorte de rapt, une façon de prendre possession de nous avec ou sans notre consentement. Ceux dont il est question dans ce volume m'ont ravi le coeur. Je les garde à portée de main, car ils ont pris une place durable dans ma vie sans jamais rien perdre de ce qui m'a saisi en première lecture. J'ai beau sans cesse les relire, c'est toujours la première fois. Leurs auteurs, je les ai rencontrés sur le terrain de l'amitié. J'aurais d'ailleurs pu intituler ces pages L'Amitié si Maurice Blanchot n'en avait pas eu l'idée bien avant moi. »
Comment l'appeler, ce livre : roman ?, poème ? Si je me décide pour roman, on me fera remarquer que je vais souvent à la ligne, comme dans les poèmes. Si je préfère parler de poème, on m'opposera la présence de personnages et des éléments d'une action à rebondissements, qu'on rencontre habituellement dans les romans.
Je laisserai en fin de compte au lecteur l'embarras du choix. Je lui dirai seulement que Voix seule résulte d'un pan de vie en compagnie de mots avec lesquels j'ai entretenu une relation qui m'a semblé juste. Ces mots, j'ai essayé de les mener dans l'inconnu, le plus loin possible. Je leur ai demandé de me surprendre.
Ce livre, malgré les apparences, n'est pas un recueil de poèmes. Un récit, plutôt, s'y dessine. Voici un acteur dans l'attente du lever de rideau. Pour lui, c'est l'aventure d'une promesse. Il va voir le monde d'un œil neuf, un monde autrement plus grand et profond que la représentation qu'il s'en est toujours faite, et surtout, complètement ouvert sur l'inconnu. Mais très vite, la tension à laquelle il est soumis ne diffère en rien de celle qui a marqué son enfance, vécue comme l'apprentissage du silence et de la peur, à l'extrémité d'une langue de terre. Et sur la scène du théâtre, où il a des allures de naufragé sur son radeau, où il se sent perdu, en état d'échec, il est confronté à l'affolement du temps, qui joue contre lui sans lui laisser espérer la moindre chance de voir un jour le rideau se lever.