Les Diaboliques est un recueil de six nouvelles de Jules Barbey d'Aurevilly, paru en novembre 1874 à Paris chez l'éditeur Dentu. Le projet de ce recueil de nouvelles devait s'intituler à l'origine Ricochets de conversation. Il fallut cependant près de vingt-cinq ans à Barbey pour le voir paraître puisqu'il y travaillait déjà en 1850 lorsqu'il fit paraître Le dessous de cartes d'une partie de whist dans le journal La Mode dans un feuilleton en trois parties, La Revue des Deux Mondes l'ayant refusé. Barbey revint en Normandie à la faveur des événements de la Commune et l'acheva en 1873. Extrait : Pour qui connaissait le genre d'esprit de Mlle de Beaumont, on était libre de mettre une atroce intention dans ce mot. Malgré sa pâleur, cependant, malgré la couleur hortensia passé des lèvres de la comtesse du Tremblay de Stasseville, il y avait pour l'observateur avisé, précisément dans ces lèvres à peine marquées, ténues et vibrantes comme la cordelette d'un arc, une effrayante physionomie de fougue réprimée et de volonté. La société de province ne le voyait pas. Elle ne voyait, elle, dans la rigidité de cette lèvre étroite et meurtrière, que le fil d'acier sur lequel dansait incessamment la flèche barbelée de l'épigramme.
Néel de Néhou, qui depuis quelques jours pensait à elle - car le bruit de la scandaleuse acquisition du Quesnay par Sombreval faisait sa tournée dans le pays - Néel, qui s'imaginait que, si la fille de cet abominable prêtre pouvait être belle, elle ne devait l'être que de la beauté orgueilleuse, matérielle et hardie d'une réprouvée, fut frappé jusque dans le coeur, quand il aperçut contre l'énorme et noire épaule de Sombreval cette tête de Sainte, aux paupières baissées, sublime de tristesse calme et de chasteté !
C'est d'un changement dans la vie de son auteur, que naît L'Ensorcelée. Barbey d'Aurevilly, prétendu démocrate jusqu'alors, revient à la foi catholique. Il décide de fuir le présent pour le passé, et de s'éloigner de la réalité. Il s'en retourne aux sources normandes et à ses origines. De là, germe le projet de l'écriture de chroniques normandes. La guerre des chouans passionnant Barbey, ce dernier entreprend une peinture pittoresque de la Normandie et de son histoire. L'Ensorcelée est ainsi le premier volet de l'ensemble de chroniques dont le titre général serait Ouest, complété quelques années plus tard par Le Chevalier Des Touches. L'histoire relate un évènement fondateur du récit ; l'engagement de l'abbé de la Croix-Jugan auprès des Chouans. Lorsque ce dernier pense sa cause perdue, il tente de se suicider et renie son humilité de prêtre. Il survit malgré une horrible blessure au visage, signe de sa rébellion. Quelques années plus tard, « lorsqu'on rouvrit les églises » nous retrouvons cet ancien moine aux vêpres de Blanchelande. Extrait : Ah ! je sais bien, dit le berger, avec un regard profond et une bouche amère, que vous êtes haute comme le temps, maîtresse le Hardouey ! Mais vous n'êtes pas ici sous les poutres de votre cuisine. Vous êtes au vieux Presbytère, dans un mauvais carrefour où âme qui vive ne passera plus maintenant que demain matin. Qu'est-ce donc qui m'empêcherait, si je voulais ? ajouta-t-il lentement en grinçant un sourire féroce qui fit briller son oeil vitreux, et montrant son bâton de houx...
Lorsqu'il écrit Le Cachet d'onyx, Barbey a 23 ans. Il vit à Caen où il suit des études de Droit et s'intéresse à la politique. Ces années sont aussi marquées par la relation avec Louise, épouse d'Alfred de Méril, ainsi devenue cousine par alliance de l'auteur, relation qui bouleverse sa vie entière. Il semblerait que Louise soit la Maria à qui le narrateur s'adresse. Ce conte sonne ainsi comme une vengeance d'un jeune auteur déçu et blessé, à travers un récit brutal et froid. Extrait : Un jour, dans une de ces soirées que Paris compte parmi les plus brillantes, Dorsay avait souffert plus que jamais des plaisanteries de ses amis. Ces plaisanteries qu'ils infligeaient à sa vanité de fat étaient d'un goût si parfait et d'un ton si mesuré dans les termes qu'il était impossible à un homme de bonne compagnie de montrer de l'humeur ou du courroux, mais l'intention en était si blessante, si triomphante surtout, qu'il fallait d'un autre côté une grande puissance sur soi-même ou une grande peur de l'inconvenable pour se contenir en les entendant. Dorsay les écoutait les lèvres tremblantes, le front pâle et les traits frappés d'un vague sourire qui s'efforçait d'être insouciant et gai.
Commencé en novembre 1837, le roman l'Amour impossible, parut pour la première fois en 1841. Barbey d'Aurevilly avait alors 29 ans. Extrait : Mais l'attention de Mme de Gesvres, pour un homme dont les regards obstinément fixés sur elle devaient avoir le velouté d'un hommage, ne dura que quelques instants. Gâtée par les prosternements des hommes, objet des plus ardentes contemplations, cible ajustée par toutes les lorgnettes, Mme de Gesvres se détourna bientôt de cet homme de plus qui probablement l'admirait. Comme ce soir-là était un de ses plus cruels moments d'ennui, elle sortit bien avant la fin du spectacle, et ne se douta point que la lettre qui lui fut remise en descendant de voiture fût précisément du seul être qui dans la soirée l'eût fait sortir, pour une minute, de ses anéantissements.
Tous avaient été, de génération en génération, des hommes particulièrement impitoyables. Tous, sans exception, avaient tué dans leurs âmes les sentiments humains, comme ils tuaient les hommes. Le caractère le plus marqué de leur terrible race avait été une atroce impitoyabilité. Tempéraments aussi absolus qu'indomptables, dont les passions avaient la faim des tigres, c'étaient de ces gens qui croyaient le monde créé pour eux, et qui, pour faire cuire seulement l'oeuf de leur déjeuner auraient incendié toute une ville. Quand ils s'avisaient d'être débauchés, c'était de la débauche qui va jusqu'au sang et jusqu'à la mort... Un jour, l'un d'eux avait enlevé à un de ses écuyers une jeune fille qu'il aimait, et l'ayant violée, il l'avait tuée à coups de boule de quilles, dans un des fossés du château. Pour lui, elle n'avait été qu'une quille de plus !
Mais le Philosophe secoua la tête ; un sourire de dédain ouvrit ses lèvres comme le précurseur de quelque réponse inflexible ; puis le dédain se changea en sourire de mélancolie, et il n'osa pas appuyer son stoïcisme sur cette pauvre créature abattue, qui croyait que l'on se relevait de la mêlée en saisissant encore une fois les genoux d'un homme et en tordant passionnément ses beaux bras autour de ce dernier autel. - « Ecoute-moi, ô Amaïdée ! - dit Altaï. - L'amour passe, et la vertu demeure. Si je t'ai entraînée avec moi, ce n'était ni comme une victime ni comme une esclave. Je ne suis point un de ces insolents triomphateurs de l'âme des femmes, chassant devant eux les troupeaux qui leur serviront d'hécatombes.
La rêveuse naissante sentait-elle mieux dans le vide de cet immense escalier l'autre vide d'une existence que la tendresse de sa mère aurait dû combler, et, comme les âmes prédestinées au malheur, qui aiment à se faire mal à elles-mêmes, en attendant qu'il arrive, aimait-elle à mettre sur son coeur l'accablant espace de ce large escalier, par-dessus l'accablement écrasant de sa solitude ? Habituellement, Mme de Ferjol, descendue de sa chambre et n'y remontant que le soir, pouvait croire Lasthénie à s'amuser dans le jardin, quand elle, l'enfant, oubliée là, restait assise de longues heures sur les marches sonores et muettes. Elle s'y attardait, la joue dans sa main, le coude sur le genou, dans cette attitude fatale et familière à tout ce qui est triste et que le génie d'Albert Dürer n'a pas beaucoup cherchée pour la donner à sa Mélancolie et elle s'y figeait presque dans la stupeur de ses rêves, comme si elle avait vu son Destin monter et redescendre ce terrible escalier ; car l'avenir a ses spectres comme le passé a les siens, et ceux qui s'en viennent sont peut-être plus tristes que ceux qui s'en reviennent vers nous... Extrait : Ma grand'mère ne s'étonnait donc pas que M. de Ferjol eût tourné la tête à Mlle d'Olonde ; et, de fait, il la lui avait tournée, et si bien, qu'un jour elle s'était fait enlever par lui, cette fille qu'on disait si fière ! Dans ce temps-là, il y avait encore des enlèvements dans le monde, avec la poésie de la chaise de poste et la dignité du danger et des coups de pistolet aux portières. À présent, les amoureux ne s'enlèvent plus. Ils s'en vont prosaïquement ensemble, dans un confortable wagon de chemin de fer, et ils reviennent, après « le petit badinage consommé », comme dit Beaumarchais, aussi bêtement qu'ils étaient partis, et quelquefois beaucoup plus