A quoi ressemble l'Académie française en 1863 ? La dernière décennie du Second Empire est une vraie période creuse : ministres tombés, gloires déchues, auteurs passés de mode, tranquilles opposants de principe au régime en place... A part Victor Hugo et Mérimée, elle ne déborde pas de génies.
Barbey d'Aurevilly est un écrivain qui se délecte à dépeindre toutes les nuances de la médiocrité. L'Académie est une province plus secrète que son Cotentin natal ; il ajoute pour la décrire une ironie assassine. Le « connétable des lettres » montre de la pointe du sabre les usurpateurs occupant ces fauteuils qui auraient dû revenir, l'année où ils ont été élus, à Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Charles Baudelaire, Stendhal... Barbey se fait leur vengeur. Lui qui aime jouer avec des encres de couleurs, ses manuscrits en témoignent, trempe ici sa plume dans le vitriol et l'arsenic, l'encre antipathique, sa meilleure.
Barbey d'Aurevilly est surtout connu pour ses romans. C'était aussi un essayiste de premier plan. Il a laissé une vingtaine de volumes de critique (Les OEuvres et les Hommes) et a fait connaître le dandysme en France grâce à son Du dandysme et de Georges Brummel. Moraliste, penseur, pamphlétaire, Barbey a toute sa vie tenu des carnets de notes et de réflexions, dont les fameux Memoranda. On croyait connaître l'intégralité de ces ouvrages jusqu'à la découverte récente de deux cahiers, intitulés Omnia (« tout », en latin) par Barbey lui-même. Commencés en 1855, ils permettent de mieux cerner l'imaginaire de l'auteur des Diaboliques. Suite de réflexions, d'observations, de notes de lectures, ils comprennent des clefs pour la compréhension de ses romans, mais aussi des remarques sans illusions (« Les enfants nous consolent de tous les chagrins, en attendant les épouvantables qu'ils ne manqueront pas de nous donner »), sarcastiques (« Quand on a des opinions courantes, je les laisse courir »), ainsi qu'un grand nombre de remarques éblouissantes sur ses contemporains, d'Henri Heine à Chateaubriand. Le livre est présenté et annoté par Joël Dupont, spécialiste de l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly.