Ce nouveau numéro d'Archéo.doct retranscrit les échanges qui se sont tenus lors de la 15e Journée Doctorale de l'ED 112 de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Cette journée thématique avait pour intitulé : « À Table ! De l'approvisionnement au dernier repas. Regards croisés sur l'archéologie de l'alimentation. » Au centre du paysage scientifique actuel en sciences humaines, cette thématique a permis des discussions pluridisciplinaires sur des sujets variés, du stockage des aliments à la Protohistoire égéenne aux rapports sociétaux entretenus entre les Hommes et la nourriture imprimée à la période contemporaine à travers le monde. Les méthodologies d'étude de la nourriture présentées ici sont multiples, depuis les études morphométriques jusqu'à l'expérimentation scientifique, en passant par l'analyse de données ethnographiques, textuelles ou iconographiques. Elles permettent d'aborder toutes les questions liées à l'alimentation, depuis l'acquisition des denrées, jusqu'à leur consommation, en passant par leur connotation politique et leur importance symbolique. Il est alors possible de saisir dans toute sa complexité le rôle de l'alimentation qui, à un certain moment, dépasse le simple apport physiologique.
« La musique a-t-elle un genre ? » : la question soulève encore souvent indifférence polie, sinon hilarité, voire mépris. Et pourtant ! Comme la littérature et la peinture, la musique n'échappe pas aux catégorisations genrées et encore moins aux inégalités de genre qui relèguent dans l'ombre les femmes artistes. Ce volume examine sur la longue durée ce phénomène d'invisibilisation des musiciennes à l'oeuvre tant dans l'historiographie que dans l'imaginaire social, tant dans les discours que dans les pratiques de création et les programmations. Repérant les différentes voies de disqualification des talents féminins, les seize études réunies ici scrutent les indices de l'enfouissement des musiciennes dans les traités philosophiques et esthétiques, dans les manuels d'éducation, dans les témoignages du public, dans les récits de vie, comme dans les écrits savants et la critique musicale, y compris la plus récente. Surgissent ainsi autant de jalons pour débusquer et mieux déconstruire les stéréotypes de genre dans les écrits sur la musique et les pratiques musicales d'hier et d'aujourd'hui.
Qu'est devenu aujourd'hui le « métier d'historien » dont parlait Marc Bloch ? En suivant le fil d'une expérience individuelle, ce livre s'interroge sur le travail de l'histoire, entendu dans un double sens. C'est d'abord le travail sur l'histoire, comme matériau de recherche, qui pose des questions intellectuelles mais aussi pratiques. Comment devient-on chercheur en histoire ? Que signifie lire, écrire, éditer des textes quand on est historien ? Quels sont les enjeux de l'enseignement de l'histoire ? Pourquoi participer à l'évaluation ou à l'administration au sein des institutions universitaires ? Qu'implique le fait d'intervenir dans la sphère publique ? Ces questions font le quotidien de l'historien autant, voire plus, que la fréquentation des archives et des bibliothèques. Mais, en filigrane, le travail de l'histoire désigne aussi, dans un sens qui mêle les dimensions personnelle et professionnelle, l'histoire au travail. Non seulement l'histoire comme flux temporel, qui transforme les êtres et les choses, mais aussi comme discipline, qui produit des effets sur celui qui la pratique et qui est, en retour, travaillé par cette histoire.
Les aveux de La chair, dernier volume de l'Histoire de la sexualité, fruit de près de huit ans de travail sur le christianisme ancien, est le livre auquel Foucault aura consacré le plus de temps, sans parvenir à l'achever complètement. Le détour par les Pères de l'Église (Tertullien, Augustin, Cassien, etc.) devait contribuer à éclairer le rapport que l'Occident entretient au corps et à ses plaisirs, au croisement de la subjectivité et de la vérité. Publiés posthumément en 2018, déjà traduits en plusieurs langues, Les aveux de la chair révèlent l'étendue des recherches conduites par Foucault sur les premiers siècles chrétiens, que les textes et les cours jusqu'ici connus laissaient à peine deviner. Le présent ouvrage organise une rencontre inédite : les lectures « chrétiennes » de Foucault sont ici interrogées par seize historiens, philosophes et théologiens internationaux, spécialistes de cette période ainsi que de la pensée de Foucault. En quoi l'approche de Foucault renouvelle-t-elle la manière de lire les Pères ? Permet-elle d'aborder autrement la question de la nouveauté apportée par le christianisme dans la culture antique ? Et comment cette nouveauté peut-elle faire sens en philosophie aujourd'hui ? Questions cruciales, non seulement pour l'histoire des idées, mais d'abord et avant tout pour la compréhension de notre actualité.
Dans cet ouvrage, l'auteure montre comment la pensée de Spinoza se constitue et nous constitue aujourd'hui. Elle expose sa pratique de l'histoire de la philosophie fondée sur le double mouvement du pointillisme méthodologique et de l'appréhension des lignes de force. Elle s'interroge à la fois sur la puissance des mots, leur présence ou leur absence dans le corpus, qui vient torpiller les grandes machines interprétatives, et sur la dynamique des idées qui poursuivent leur vie propre durant les siècles. À travers l'étude de la composition des corps - corps animal, corps humain, corps propre, corps politique - et l'examen de la force actuelle de ses idées dans différents champs, il s'agit de penser Spinoza à l'oeuvre, tel que ses textes, à la lettre, opèrent encore et toujours sur nos esprits.
Les réflexions de Nietzsche sur les femmes n'ont pas une place marginale dans son oeuvre ; elles ne sauraient se réduire à des préférences personnelles et moins encore à des égarements ponctuels. Bien au contraire, elles s'inscrivent dans son entreprise philosophique et sont en étroite relation avec les thèmes centraux de sa pensée. Examiner les images de femmes que Nietzsche construit et les rôles qu'il leur accorde, étudier la façon dont il se sert de la typologie dans ses analyses de figures féminines, soulever la question de savoir pourquoi il crée des personnifications féminines d'entités abstraites, s'interroger sur ses positions vis-à-vis des femmes émancipées, comprendre les raisons qui le conduisent à combattre frontalement les femmes de lettres : voilà le fil conducteur de cette enquête. À partir d'une lecture immanente des textes de Nietzsche, Scarlett Marton met en relief les ambivalences multiples et variées qui caractérisent ses prises de position à l'égard des femmes : elles concernent le comportement des femmes mariées face aux esprits libres, l'attitude des femmes aimantes vis-à-vis de leurs amants, les traits des femmes bien-aimées de Zarathoustra, comparés à ceux des femmes seulement humaines. En définitive, quand il traite des femmes émancipées, Nietzsche ne témoigne plus d'aucune ambivalence. Il retrouve le geste d'exclusion caractéristique de la philosophie des temps modernes.
L'effet musée est envisagé ici dans son rapport à des fonds, à des dispositifs, à des controverses et à des jeux d'influences. Il s'agit d'abord de décrire le travail des établissements sur leurs objets, non seulement dans le choix de les collecter, mais aussi dans leur traitement, déterminant pour la vie sociale des collections. Les gestes d'exposition analysés ensuite manifestent l'omnipotence de l'institution sur ses espaces, entre démonstrations visuelles et expériences immersives. Enfin, l'effet musée s'opère sur ses publics, entre fascination, respect, jouissance, mais aussi malaise, voire colère. Ces effets contrastés révèlent les aléas de la légitimité sociale et culturelle des faiseurs de musées, quels que soient leurs statuts (État, associations ou collectionneurs). Ils dessinent plus largement un paysage d'amitiés et d'inimitiés envers l'institution, autour de ses installations et de ses valeurs. Résolument pluridisciplinaire, cette enquête collective réunit jeunes chercheurs et universitaires confirmés, et couvre une grande diversité de collections de la fin du XIXe siècle à aujourd'hui. Cet ouvrage, préparé sous la direction de Dominique Poulot, est le quatorzième volume de la collection Histo.Art, présentant les travaux de l'École doctorale Histoire de l'art de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Signs and States, programme financé par l'ERC (European Research Council), a pour but d'explorer la sémiologie de l'État du XIIIe siècle au milieu du XVIIe siècle. Textes, performances, images, liturgies, sons et musiques, architectures, structures spatiales, tout ce qui contribue à la communication des sociétés politiques, tout ce qu'exprime l'idéel des individus et leur imaginaire, est ici passé au crible dans trois séries de rencontres dont les actes ont été rassemblés dans une collection, Le pouvoir symbolique en Occident (1300-1640). Ces volumes, adoptant une perspective pluridisciplinaire et comparative dans une visée de long terme, combinent études de cas, analyses conceptuelles et réflexions plus théoriques. Et les réponses à ce questionnaire, issu d'une réflexion sur une histoire culturelle poursuivie sur plus de cinq siècles, remettent en cause une histoire de l'Occident latin où l'on opposerait Église et État : la mutation culturelle engendrée par la réforme grégorienne qui, tout en assurant d'abord le triomphe de la papauté, a donné à l'État moderne les moyens d'assurer sa propre légitimité en créant les conditions d'une révolution du système de communication. Elle engendre un partage du pouvoir symbolique et des processus de légitimation avec l'État : la capacité de ce dernier à se légitimer par le consentement de la société politique en dehors de la contingence religieuse est une spécificité de l'Occident latin, clé de l'essor des États modernes européens.
En explorant cinémas et boutiques, cimetières, rues et places publiques, c'est à une autre histoire de la socialisation politique au Maghreb qu'invitent les vingt-huit disciples et amis réunis dans ce livre pour rendre un hommage collectif à Omar Carlier. Historien de l'Algérie et homme de terrain, Omar Carlier a profondément renouvelé l'approche du politique en Afrique du Nord : venus d'Algérie, de France et d'ailleurs, ces vingt-huit historiens enquêtent, suivant les chemins qu'il a défrichés, sur les lieux, les événements et les objets grâce auxquels il a éclairé d'un jour nouveau notre compréhension de la région et des enjeux politiques, sociaux et culturels qui l'animent. Ces études offrent ainsi de nouvelles pistes pour comprendre la guerre d'indépendance algérienne, revenant sur les origines du Front de libération nationale, sur les mouvements et engagements militants, à Alger comme en métropole, et sur les chants et les festivités à l'heure de l'indépendance. Car, dans ce livre, l'Algérie est saisie dans son ensemble : à l'échelle du Maghreb comme au sein du monde ottoman, parmi les empires coloniaux et dans la période de l'après-indépendance - quand l'histoire coloniale pèse, encore et toujours.
Le souci des morts est le propre de notre commune humanité, par-delà l'infini répertoire des pratiques funéraires qui l'expriment et le traduisent. Mais les relations entre les vivants et les morts, le commerce qui s'établit de part et d'autre de la tombe, les échanges matériels et immatériels dont elle est le pivot, sont pour les historiens et les archéologues de formidables révélateurs des structures (sociales, économiques, symboliques) de la société qu'ils étudient. En tenant son LXVIIIe congrès à Jérusalem, ville-sanctuaire et ville-cimetière où tant d'hommes et de femmes sont venus ou ont espéré mourir au Moyen Âge, la Société des historiens médiévistes de l'Enseignement supérieur public a souhaité interroger les relations entre les vivants et les morts en un lieu placé au coeur des croyances et des attentes eschatologiques des trois grandes traditions monothéistes. Attentifs à la diversité des mondes chrétien, juif et musulman qui se croisent dans l'histoire de Jérusalem, les auteurs ont mobilisé l'ensemble des traces laissées par les gestes, les pratiques et les croyances des hommes et des femmes du Moyen Âge à l'égard de leurs morts : de l'étude archéologique des sépultures à leurs représentations, de l'épigraphie funéraire à la mémoire archivistique des défunts, du commentaire des écritures saintes au récit des morts illustres ou anonymes. Ainsi sont mis en lumière la prise en charge des défunts, l'espace qui leur est assigné en propre ou en partage dans la société de leur temps, l'économie des échanges matériels et mémoriels entre morts et vivants, les croyances enfin qui investissent les multiples temporalités de leurs relations de part et d'autre de la tombe. Le Moyen Âge n'a cessé de bruisser du commerce des vivants et des morts : ce volume donne à entendre cette conversation ininterrompue.
En mêlant réflexion théorique et perspectives opérationnelles, ce livre souhaite questionner les transformations urbaines occasionnées sur le temps long par l'émergence des mobilités partagées mises en oeuvre par de grandes firmes privées mondialisées. Dans quelle mesure la participation de ces nouveaux acteurs aux politiques de mobilité des villes transforme-t-elle le rôle des institutions publiques dans la gestion urbaine ? Ces systèmes de mobilité peuvent-ils répondre aux enjeux écologiques du xxie siècle ? Quels sont les gagnants et les perdants de ces recompositions dans l'économie des transports, les institutions et les structures sociales urbaines ? Ces questions sont abordées à partir de l'analyse du développement récent des systèmes de vélos en libre-service et d'autopartage, en proposant une réflexion plus générale sur la place du capitalisme dans l'innovation en matière de mobilité et dans la fabrique de la ville. L'ouvrage permet de saisir les contours des nouvelles économies collaboratives en interrogeant la gouvernance « public-privé » des mobilités partagées. Cette seconde édition souhaite actualiser le développement de l'auteur à travers l'introduction d'une étude de cas de l'évolution historique des mobilités partagées à Paris, la prise en compte de l'arrivée des dispositifs de mobilité en free floating dans les grandes villes et l'intégration de nombreux éléments d'actualité (changement d'opérateur, nouveaux acteurs, etc.). Le livre souhaite offrir des outils de réflexion aux différents acteurs de la ville avant les élections municipales de 2020, période au cours de laquelle les mobilités partagées seront au coeur des débats politiques et citoyens.
« En même temps que je commençais à m'imaginer en compositeur, je décidais de devenir musicologue. » Jamais je n'aurais pensé qu'il soit possible de dissocier composition et théorie musicale, recherche et création. Inversement, il m'était difficile d'imaginer devenir un compositeur qui ne soit pas aussi un praticien, c'est-à-dire un transmetteur : instrumentiste, mais aussi accompagnateur, improvisateur et, bien entendu, enseignant. Mon parcours ne s'est pas présenté à moi comme un effort pour affranchir, puis concilier des disciplines ou des domaines dont le cloisonnement m'étouffait. Je l'ai vécu intimement comme le déploiement naturel, logique et nécessaire d'une conception personnelle de la musique, élaborée dans un va-et-vient incessant et fécond entre la solitude du chercheur ou du compositeur et le partage avec les publics académiques ou mélomanes, ainsi qu'avec les autres arts, en particulier la littérature et le cinéma.
Les recherches et l'enseignement de Nadine Picaudou (professeur d'histoire des sociétés arabes contemporaines à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne jusqu'en 2010) offrent un aperçu saisissant des évolutions de l'histoire et du métier des historiens du Proche-Orient contemporain. Les études réunies dans ce volume et écrites à l'occasion de son départ de l'université par des chercheurs de disciplines variées retracent bien plus que le parcours intellectuel d'une historienne du Proche-Orient. Elles mettent en lumière l'apport croissant des sciences sociales, l'influence continue de terrains particuliers et des conflits de la région (Palestine, Liban), l'évolution des thèmes de recherche et celle des questionnements de la société sur l'histoire contemporaine et parfois très actuelle du Proche-Orient (Islam et modernité, place des femmes, formation et rôle de l'armée, printemps arabes). Avec ces études, c'est l'ensemble du Proche-Orient qui est abordé, de la Turquie à l'Arabie Saoudite et du xixe siècle à l'année 2014, dans un souci de dialogue constant entre l'histoire et les sciences sociales et humaines - dialogue qui a caractérisé le travail de Nadine Picaudou.
À travers une histoire sociale de l'Association des oulémas musulmans algériens (AOMA), de sa fondation en 1931 à sa réactivation dans les années 1990, ce livre retrace des débats toujours actuels dans l'Algérie contemporaine : la construction de l'État, la définition de l'islam et la place de la langue arabe. Fondé sur des sources en langues arabe et française, et sur un travail de terrain, L'Algérie des oulémas questionne les clichés liés à l'héritage de l'AOMA. Les activités éducatives et religieuses de l'association à la période coloniale, puis son positionnement dans la guerre d'indépendance ont conditionné l'insertion de ses membres dans l'Algérie postcoloniale. Les parcours de ses dirigeants donnent à voir les stratégies mises en oeuvre après la disparition formelle de l'association à l'indépendance. Si certains des cadres de l'AOMA participent au gouvernement du parti unique FLN, travaillent au sein de l'Éducation na tionale ou oeuvrent à construire les bases de l'islam d'État, d'autres contestent publiquement le pouvoir socialiste au nom même de l'islam, suivis par les mouvements islamistes naissants des années 1980. Les enjeux culturels, politiques, sociaux et économiques de l'étude de l'AOMA et de son héritage sont replacés dans l'histoire du monde arabe et musulman.
Le paradoxe fondamental qui vient à la fois constituer et mettre en péril la politique, c'est qu'il n'y a pas d'autorité des institutions et des lois sans le soutien au moins tacite et spontané de la multitude, multitude dont il s'agit en même temps de reconnaître qu'elle est composée d'individus et de groupes sociaux qui désirent n'en faire qu'à leur tête. Ce paradoxe est souvent dénié par les philosophies politiques qui se contentent d'invoquer une légitimité idéale pour justifier une obéissance en droit. Les concepts de disposition et d'habitus, tels qu'ils sont théorisés par Pierre Bourdieu, permettent de comprendre à même la pratique comment s'établit, de fait, la domination d'un ordre. Spinoza, tout en s'accordant sur des points fondamentaux avec le sociologue, insiste néanmoins sur la dimension passionnelle et donc inconstante des dispositions, et par là assume davantage encore le paradoxe. Un pouvoir n'est obéi que s'il sait se faire désirer, qu'il soit légitime ou non. C'est alors une conception de l'État et des institutions politiques tout à fait originale qu'élabore le Traité politique, où il s'agit moins de les fonder en légitimité que de les faire fonctionner malgré, et même par, les passions pourtant inconstantes et variées du vulgaire. Encore faut-il que cette domination s'exerce au profit de tous et de chacun : une Realpolitik, au sens de Pierre Bourdieu, est ainsi constituée par Spinoza, où le pouvoir n'est détenu par personne en particulier, mais dispose tous les citoyens à la concorde et à la paix, malgré eux mais, autant que possible, de bon gré.
Le huis-clos dans l'atelier, où l'architecte exerce un art autoréférentiel, qui puise ses modèles en lui-même, plus que dans la nature, résonne de l'expérience et de la mémoire des visites in situ des édifices et des espaces réels, parfois parcourus lors de lointains périples. L'intention qui préside au choix du modèle, précède le processus de connaissance. Ce souci, ce désir, qui motivent les enquêtes et l'extension des corpus, participent d'un projet plus ou moins collectif ou individuel, plus ou moins intuitif ou explicité : une ambition d'édifier. De sorte que le moment, technique en apparence, de l'observation et du travail graphique, qui permettent de réduire un objet complexe à une série limitée de figures, ou de photographies, trouve son ressort dans un souci de distinction par la découverte et la compréhension d'objets inédits ; par la révision des savoirs préétablis ; ou puise son impulsion, parfois obscure, dans des expériences esthétiques ou mentales plus personnelles ou intimes. Quatorze essais, réunis ici par Jean-Philippe Garric, interrogent la mécanique et l'économie des modèles, à travers leur formation, leur pratique et leur portée politique.
Au XIXe siècle, des milliers de Britanniques émigrent vers le continent. Parmi eux, des artisans viennent travailler quelque temps, forts de savoir-faire acquis outre-Manche, au coeur de l'industrialisation. Alors que les circulations se multiplient, mécaniciens, ouvrières du lin et du jute, dentelliers, cheminots, terrassiers ou travailleurs du fer utilisent leurs compétences en Europe. Au moins trois d'entre eux, venus à Paris par ces sentiers de l'ouvrier, ont laissé des mémoires : John Colin, apprêteur de cuir écossais et « ivrogne réformé » ; Charles Manby Smith, typographe érudit, qui compose à Paris des livres en anglais et William Duthie, orfèvre itinérant. Ils sont employés dans cette « fabrique collective » parisienne, capitale de l'échoppe et de l'atelier, destination de centaines de milliers de migrants provinciaux et étrangers. Ces trois témoins décrivent leur travail, leur logement et leurs sociabilités. Ils sont parfois les témoins de la grande histoire, à l'instar de Smith, observateur apeuré de la révolution de Juillet 1830. Ils repartent et finissent par raconter leur vie, selon un usage alors répandu dans les classes populaires britanniques. Leurs témoignages sur le Paris ouvrier sont rassemblés ici, pour la première fois en français.
Partir sur les traces de Matswa, dans l'entre-deux-guerres, c'est illuminer l'itinéraire d'un acteur à la fois mystérieux et méconnu, pourtant incontournable si l'on veut saisir les contours de la fronde contre l'ordre colonial qui se dessine aux quatre coins de l'Hexagone à partir des années 1920. Utilisant la quête de la citoyenneté française comme un fil d'Ariane, l'auteur fait cheminer le lecteur dans le dédale de la lutte anticoloniale, des cafés de la Ville-Lumière, aux Quatre Communes côtières du Sénégal, aux villages frondeurs du Moyen-Congo et aux camps de détention du Sahel tchadien. À son parcours militant audacieux se double un destin posthume qui occupe une place disproportionnée dans l'imaginaire collectif des Congolais. C'est une vie créée de toutes pièces, une vie de légende dans laquelle Matswa apparaît affublé d'oripeaux prométhéens. Cette biographie de Matswa s'attèle justement, en recourant à une pléthore de sources, à faire la part entre l'univers des croyances et l'ordre des connaissances.
En 1854, Napoléon III importe le modèle londonien de police dans la capitale française. La police de contact, visible et quotidienne (on dirait aujourd'hui de « proximité ») s'impose alors pour longtemps dans l'espace parisien. En jouant sur les échelles et les angles d'observation, cet ouvrage entend étudier les mutations d'une relation police-société dans la seconde moitié du XIXe siècle. Entre 1854 et 1914, le sergent de ville, devenu gardien de la paix, s'intègre progressivement dans l'espace social, politique et mental parisien, sans que cela implique bien sûr la fin des confrontations ni celle des débats. S'observe en même temps la lente professionnalisation d'une nouvelle force de police, la mise en place d'un ordre public d'un nouveau type, plus intégré, mais qui produit de nouvelles résistances et mises à l'écart, ainsi que l'émergence d'une perception nouvelle du « quotidien urbain » et de la peur des « apaches ». Ce processus concerne peut-être l'ensemble du territoire français, mais il semble trouver une expression particulière, dans ses formes comme dans son intensité, dans la capitale. Le gardien de la paix parisien devient en effet dans la République des années 1900 un symbole, à l'échelle française et internationale, de ce qui est perçu comme une nouvelle et ambiguë « civilisation urbaine ».
Histoire environnementale, anthropologie de la nature, sociologie de l'environnement... : on assiste, depuis une trentaine d'années, à la multiplication de sciences humaines et sociales qui prennent l'environnement pour objet, et revendiquent de voir ainsi leur épistémologie transformée. Le foisonnement de ces labels est tel que, aujourd'hui, certains souhaitent les rassembler sous une bannière commune, celle d'« humanités environnementales ». Plutôt qu'un manifeste, cet ouvrage propose une histoire des humanités environnementales au prisme des disciplines (anthropologie, histoire, philosophie, géographie, sociologie, études littéraires, sciences politiques, économie, droit). Il retrace pour la première fois l'émergence intellectuelle et institutionnelle de ces domaines d'étude. En prêtant attention à la pluralité des débats et des controverses passés, ce livre décrypte un paysage singulier de la recherche internationale contemporaine : celui des sciences humaines et sociales aux prises avec l'environnement.
Cet ouvrage ne propose pas une histoire de la fiscalité : il examine les conflits qui entourent le paiement de l'impôt d'Empire dans le Saint-Empire romain germanique aux xviie et xviiie siècles. Au coeur de l'analyse se trouvent les ressorts de la construction spatiale et sociale du pouvoir, le consentement à la soumission et son refus. En suivant l'impôt, on découvre un fourmillement de relations de pouvoir, leur proclamation et leur renégociation permanentes. Car la fiscalité n'est pas un simple transfert d'argent : vecteur de l'ordonnancement du monde social, prérogative régalienne et instrument d'affirmation du pouvoir, elle est au coeur du maintien de l'ordre social et politique. Mais elle est également vecteur de contestation, et à travers son refus s'élaborent des espaces d'émancipation et des pratiques de participation politique, par la révolte et la procédure judiciaire. Du simple contribuable jusqu'au prince d'Empire, l'impôt permet de tracer le réseau des allégeances et des dépendances, la proclamation de la supériorité et la contestation de l'infériorité. L'impôt d'Empire est donc un poste d'observation de la manière dont le monde social tient et se maintient, dans une Allemagne marquée par la persistance de formes de pouvoir surprenantes, bien éloignées de l'idéal type de l'État « moderne ».
Les autorités et les penseurs chrétiens du Moyen Âge ont, en règle générale, tenu un discours extrêmement négatif à l'égard de ceux qu'ils appelaient les païens, qu'il s'agisse de figures polythéistes du passé ou d'individus professant au présent une autre religion : stupides, brutaux, sans foi ni loi, les païens sont ordinairement donnés pour damnés. Pourtant, dans l'Europe du Nord entre la fin du vie et le début du xiie siècle, une poignée de personnages ont été reconnus comme de « bons païens » par des auteurs chrétiens : certains sont regardés comme fondateurs, vertueux, voire exemplaires, et il arrive même qu'on laisse entendre que l'un ou l'autre d'eux a pu accéder au salut. Ainsi le poème anglo-saxon Beowulf met en scène des personnages héroïques et positifs, laissant planer le doute sur leur sort ultime, enfer ou paradis. De fait, selon les contextes politiques, sociaux, et culturels, les réponses à ce double problème de la vertu et du salut des païens ont été très variables : ainsi, si certaines sociétés ont rapporté sans trop de réticences l'histoire héroïque de leurs ancêtres païens, d'autres ont été amenées à refouler l'essentiel d'un passé jugé incompatible avec le nouveau contexte religieux. L'enquête progresse de façon à la fois géographique et chronologique, explorant tour à tour l'Irlande, les marges septentrionales du royaume des Francs, l'Angleterre, le pays de Galles, la Scandinavie et le monde slave occidental. Dans toutes ces régions, la question des bons païens permet d'éclairer la manière dont, au prix d'accommodements et de bricolages théologiques, les sociétés nouvellement converties ont appris à parler d'elles-mêmes à travers le miroir de l'Autre païen.
L'accroissement des mobilités de passagers et des circulations marchandes constitue, à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, un véritable défi pour les forces de l'ordre chargées de leur contrôle. Cet ouvrage entend saisir les dynamiques historiques de ce contrôle en Europe et aux États-Unis, par une analyse des acteurs, des pratiques et des lieux où il s'exerce de New York à Naples, d'Anvers à Marseille. Cette régulation des trafics présente des configurations différentes selon les modes de transport (voiture à cheval ou automobile, chemin de fer, navigation à voile ou à vapeur), les échelles d'observation et les types de mobilités. Résolument inscrite dans les évolutions récentes de ce champ de recherche, la démarche est ici empirique, attentive à la façon dont les institutions évoluent sans cesse à travers leur action. Ce faisant, cette étude entend montrer en quoi les dynamiques territoriales propres aux mobilités contribuent depuis le xviiie siècle à former, modeler, reconfigurer les pratiques de leur discipline et de leur régulation.
Ce volume est le deuxième d'une série d'ouvrages portant sur « Statuts, écritures et pratiques sociales dans les sociétés de la Méditerranée occidentale à la fin du Moyen Âge (XIIe-XVe siècle) », visant à étudier les statuts communaux dans une optique d'histoire sociale, non pas comme une source « normative » mais comme une source de la pratique, de leur matérialité et de leur forme d'écriture aux pratiques sociales en passant par les conditions de leur production et de conservation, leur inscription dans un paysage documentaire communal, leur structure et leur contenu. Cet ouvrage, plus spécifiquement, se donne pour but de replacer la matière statutaire de l'Italie (Sienne, Ferrare, Gênes, Rimini, Milan, Orvieto, Pérouse, Todi, Pise, Lucques, la Sicile et Candie vénitienne) et du Midi de la France (Agen, Marseille, Avignon, Rodez et Comtat Venaissin) au sein d'un ensemble de documents produits par les autorités communales, par d'autres institutions présentes dans la commune ou par une autorité supérieure (seigneur laïc ou ecclésiastique, prince, roi ou pape) exerçant son dominium. Il s'agit donc d'éclairer le statut dans son paysage documentaire pour mesurer les circulations documentaires en repérant et en analysant tout les points de contact entre les statuts et les autres documents. Du niveau le plus haut ou le plus large (comtal, provincial ou royal) au plus restreint (groupements professionnels) en passant par l'échelon communal, les différentes strates normatives se superposent et se complètent mais peuvent également entrer en concurrence, nous dévoiler des tensions entre les divers niveaux de réglementation, chacun de ceux-ci espérant marquer son emprise, dominer un espace ou un secteur d'activité. Statuer peut, en ce sens, apparaître comme un enjeu social de toute première importance.